dimanche 7 décembre 2008

Le mot d'André Halimi

Auteur de "La délation sous l'occupation" (réédition L'Harmattan 2003)


Parler de la délation, c'est s'aventurer sur un chemin qui conduit à l'abominable. Dans une société qui perd son âme, livrée à l'arbitraire et aux règlements de comptes, la délation est purement et simplement un assassinat. La collaboration et l'occupation nazie en France illustrent cette constatation : les Français ont envoyé, pendant cette période, aux diverses autorités compétentes, entre 3 et 5 millions de lettres de délation, anonymes ou signées.

Or, dénoncer à cette époque, c'est peupler les camps de concentration et très souvent conduire sa victime à la mort. Juifs, gaullistes, communistes, résistants, opposants de toutes sortes, mais aussi rivaux de coeur, gêneurs ou supposés tels sont montrés du doigt et désignés aux autorités pour être sanctionnés.

On dénonce par lettres, mais aussi par articles de presse ou au cours d'émissions radiophoniques. Le comble, c'est que ces dénonciations font l'affaire des administrations, des policiers, du Commissariat général aux affaires juives naturellement, et bien entendu de l'occupant allemand. Elles alimentent la répression, et contribuent au fonctionnement normal des institutions. Au reste, souvent les délateurs sont remerciés et récompensés. Et ils ont si bonne conscience que nombre de leurs lettres commencent par les expressions : "Bon Français, serviteur de l'Etat..." ou "Patriote convaincu d'aider mon pays..." Et lorsque le délateur constate que sa lettre n'est pas suivie d'effet, il s'adresse alors à d'autres services, pour se plaindre et dénoncer la mollesse, la passivité, le laxisme, voire la complicité de ceux auxquels il s'est vainement adressé.

Au fond, la délation avait droit de cité. Dénoncer était en quelque sorte un acte civique provoqué par les textes législatifs et encouragés par les dirigeants. Les délateurs envoyaient leurs victimes à la mort avec la meilleure conscience du monde.

Ce n'est pas parce que ces textes ont trait à une période déjà ancienne, que nous devons oublier que la délation accompagne notre quotidien. Quel journaliste n'a pas un jour reçu de ces lettres chargées de ragots, d'insinuations, de dénonciations ? Il suffit d'interroger un commissaire de police de quartier, un inspecteur des impôts ou toute autre personne détenant une part, même infime, de pouvoir de sanction pour être assuré que les délateurs sont parmi nous. Inutile donc de faire semblant de croire que seuls les systèmes coercitifs et totalitaires sécrètent la délation. La délation nous entoure, l'arbitraire la stimule et s'en nourrit.

Quitte à rallumer les passions, cette adaptation nous a paru indispensable. À l'habituelle vision aseptisée de l'histoire, nous avons préféré le risque de la violence, de la vérité. Ces noms, ces lettres, ces témoignages n'ont as pour objet de ranimer des feux mal éteints. Aujourd'hui, nous avons voulu seulement rappeler que l'horreur, la mesquinerie, la lâcheté, la bêtise, la veulerie sont aussi, comme leurs contraires, les vrais ingrédients de l'histoire.

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