jeudi 11 décembre 2008

Résister, c'est exister / Actes de résistance

Pièce d'Alain Guyard
d’après des témoignages authentiques


Avec : François Bourcier
Mise en scène : Isabelle Starkier

Costumes : Anne Bothuon

Lumière : Antonio de Carvalho

Son : Philippe Latron

Avec le soutien de la Ville de Charenton, du T2R, du Conseil Général du Val de Marne

Production : Théorème de Planck, Star Théâtre


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Un spectacle-miroir en forme de diptyque

à "Lettres de délation"


Se limiter à la seule présentation à la scène des "Lettres de délation", c’était passer sous silence l’existence de son contraire.
Ainsi, les actes de résistance nous ont-il apparus comme la continuité logique des Lettres de Délation. Dans un rapport de symétrie inversée, les deux volets du diptyque se complètent et s’opposent, l’un comme le miroir de l’autre.
En effet, c’est toujours dans le lit du fatalisme et du pessimisme que sont conçues les excuses pour les pires abjections. Si l’homme est par nature un bourreau, qui aurait l’idée de le condamner pour les tortures qu’il inflige. Il était donc impératif de ne pas se contenter du seul portrait du Délateur, mais de montrer dans son étroit voisinage, la présence du "résistant" *.
Nous avons su représenter au théâtre "Lettres de délation" comment présenter à la scène l’acte de résistance.

L’acte qui fonde l’entrée dans la résistance n’est pas un acte aussi limpide et clair à soi-même que peut l’être l’acte de délation.
D’où la difficulté du traitement scénique de tels témoignages. Car il est difficile de répondre à l’aisance policée des dénonciations épistolaires par des témoignages de résistance maladroits et engoncés dans leurs mots. Le traitement brut du témoignage dessert la résistance : sa puissance de vérité qui se révèle dans ses pudeurs et ses maladresses la rend faible devant l’élégance abjecte des circonvolutions et les artifices de plume des écrivains-délateurs.
Notre difficulté consista donc à traduire tous les témoignages recueillis pour les porter à la scène afin qu’ils retentissent avec une force égale à celle des "Lettres de délation", mais sans pour autant qu’ils basculent dans la fiction ou la réécriture artificielle. Porte-parole d’une parole souvent modeste et s’interrogeant sur son sujet, Alain Guyard a donc fait un vrai travail d’écriture, qui ne fut ni une réécriture esthétisante, ni un habillage théâtral pour une parole vernaculaire : cela fut un difficile travail de traduction car il fallait rester fidèle à ces creux et ces retraits dans le discours qui les rendent authentiques sans que pour autant ils les affaiblissent dans le cadre dramaturgique.




De la banalisation du mal à celle du bien

De même que nous avions montré la banalisation du mal dans le premier volet, il fallait maintenant montrer la banalisation du bien. On dénonçait par déception amoureuse, idéologie, bêtise crasse, carriérisme professionnel, etc. ? Qu’à cela ne tienne. On résistera d’où qu’on vienne et où qu’on soit : homme, femme, parfois même adolescent, par un regard, un chapardage modeste, un mutisme obstiné, ou la planque d’enfants juifs, etc. Il n’est pas nécessaire d’être clandestin, maquisard et armé d’une mitraillette Sten pour devenir résistant. De même que le délateur est homme et motivé par des passions si humaines et si proches des nôtres, de même, le résistant restehomme et donc traversé par des motifs variés et ordinaires.

Chacun aura compris l’intention qui nous anime : l’acte de résistance est arraché à sa mythification nationale et héroïque. Cette désacralisation ne procède pas d’une haine de la grandeur et du pouvoir de dire non. Au contraire, il s’agit de convaincre l’auditoire que chacun porte en lui une capacité à ne pas consentir, à ne pas succomber. La résistance, avant d’être une posture olympienne dans une époque de guerre est d’abord l’expérience que chacun peut faire en lui-même, même en période de paix : lorsqu’il cesse de s’abandonner et lorsqu’il est capable de dire non aux mirages de la toute-puissance.


L’Acte de résistance au quotidien est un impératif catégorique, et toujours d’actualité car il est ce par quoi l’homme libre conquiert la propriété de lui-même.


La mise en scène


Dans "Lettres de délation", des valises étaient suspendues tout autour du personnage central –valises de chaussures, de sacs, de vêtements, de lettres bien sûr… Valises en mémoire de la déportation, de tous ceux que firent disparaître les terribles et pathétiques lettres de délation. Le principe : incarner ces lettres, en faire des personnages vivants, humains, d’autant plus inhumains qu’ils sont humains et qu’ils nous ressemblent. On a vu défiler la France entière : médecins, parents d’élève, commerçants, avocats, chômeurs, ouvriers, femmes au foyer.

Dans "Non – Actes de résistance", c’est cette même France qui a témoigné de la formidable faculté de dire Non et de faire basculer le destin d’autres hommes, femmes et enfants, promis à la mort – en mettant la sienne en jeu… Nous avons donc voulu incarner cette fois cette armée de l’ombre qu’est la résistance (toujours et en tout temps) : une armée d’anonymes, de "soutiers de la gloire", de silhouettes de second plan qui sont les véritables héros de l’insoumission, du courage – de l’humanité.

Armée de l’ombre, silhouettes à demi effacées que François Bourcier va faire revivre en endossant leur personnalité : en miroir des valises, ce sont cette fois des costumes pendus à ces mêmes crochets de boucher qui forment une armée de silhouettes suspendues au dessus du plateau et attendant chaun d’entre dans l’(H)histoire…
Le personnage lunaire et naïf de "Lettres de délation" nous découvre au fur et à mesure tous ces extraordinaires personnages de la Résistance dont il endosse l’humanité en nous faisant comprendre les mécanismes de l’Acte du refus : paysan, étudiant, baroudeur, retraité, mère de famille, proviseur…
Tous ces témoignages réels, qui nous font pénétrer les cercles de la résistance (du petit geste anodin, parfois inconscient et tout aussi héroïque à l’acte guerrier), sont dialogués et théâtralisés pour que l’identification, non à d’autres, mais à soi-même – à ce soi-même enfoui au fond de nos consciences – puisse jouer à plein.
Un seul grand acteur, plus de trente figures de résistances : drôles souvent, tragiques parfois, toujours émouvants. Osons le divertissement réflexif : amusons-nous dans une débauche de jeu à fabriquer de la conscience avec de la mémoire et de l’humanité – les "recettes" fondatrices du théâtre.


* Ce terme recouvre également ce qu’Israël a dénommé : les Justes. C’est à dire tous ces anonymes qui durant la guerre ont sauvé des juifs bien souvent au péril de leur vie. Nous avons préféré le titre générique de résistants.



Celui qui se tait devant le meurtre devient complice du meutre.
Celui qui ne condamne pas approuve…
Zofia Kossak,
Front de la résistance polonaise


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